La vie est la farce à mener par tous, nous dit justement Rimbaud dans Une saison en enfer. Mais il y a farce et farce : la farce au maigre du début de carrière, où l’on a plus de rêves à vendre que de souvenirs, la farce au gras au moment de baisser le rideau, où l’on tire de son expérience des enseignements féconds.

Monter un site, son site, relève de cette dernière catégorie. Il s’agit bien d’un acte d’orgueil : collecter avec une visée totalisante toute sa production écrite, orale, plastique dans un espace numérique que constitue un site : pêle-mêle, les si chères fictions, les travaux scientifiques (une thèse de doctorat, les articles qui en découlent, des vidéos de cours sur l’histoire de l’art contemporain…), une biographie composée des milliers de lignes versées dans des cahiers intimes, la correspondance épistolaire adressée à ceux que l’on a aimés ou que l’on aurait souhaité aimer, des poésies, des dessins, des photographies, tous ces matériaux soigneusement conservés au fil du temps, tel un obsédé de la trace à abandonner aux psychologues ou aux anthropologues du futur.

Disons-le nettement : ce site, même s’il se veut le reflet d’une époque (de l’après 1968 au post-macronisme) et d’une société au bord de l’apocalypse, n’offre qu’un intérêt tout relatif. Sauf que son existence repose sur deux convictions : la certitude que dans la masse des mots, des formules, des phrases énoncés gît un Verbe qui fera sens, pour on ne sait quelle raison, au cœur d’un lecteur anonyme.

On peut penser, en second lieu, que l’écriture, à part détruire des forêts, ne sert à rien. Et, cependant, nous prenons la plume ou le clavier. Et nous lisons ce que des gens rédigent à notre intention. Superbe attitude existentielle qui ne cesse d’interroger sur qui nous sommes véritablement. Plus fort encore : on sait que l’univers que nous décrivons n’a rien à voir avec le monde réel, que toute production écrite crée un monde parallèle à la vraie vie, est, de ce fait, un acteur majeur de cette farce à mener par tous. Et, pourtant, nous avons cette idée ancrée au fond de notre esprit : même si le fait d’accoucher des mots est une bouffonnerie, cette activité, rassemblée ici sous la forme moderne d’un site, est essentielle à l’histoire de l’humanité.

Toute écriture est un mensonge ? Alors mentons, mentons, mentons…

Et à votre tour, mentez !